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La formation professionnelle pour faire évoluer sa carrière dans la fonction publique

21/11/2024
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Après une carrière dans la fonction publique, Manon Galle a fait le choix stratégique de se former au développement web, non pas pour changer de voie, mais pour enrichir son expertise et renforcer son impact professionnel. Aujourd’hui, elle y est de retour en tant qu’intrapreneuse pour la Suite d’outils des médiateurs numériques à l’ANCT (l’agence nationale de la cohésion des territoires), un projet ambitieux où ses compétences techniques jouent un rôle clé. Elle a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

Qu’est-ce que l’intrapreneuriat dans la fonction publique ?

L’intrapreneuriat est un concept qui permet aux employés d’une organisation de développer et mener des projets innovants comme s’ils étaient des entrepreneurs, tout en restant au sein de leur entreprise. Cela favorise l’innovation interne en leur donnant la liberté de créer de nouvelles solutions ou produits, tout en bénéficiant des ressources et du soutien de leur structure. 

Dans la fonction publique, l’intrapreneur est un agent public du terrain au cœur de la transformation numérique des politiques publiques, il est le porteur de la Startup d’État, responsable de son investigation et de son déploiement.

Place à l’interview ⤵️

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Manon, j’ai 33 ans, maman d’un petit garçon de 1 an et demi et agent public territorial. J’ai fait partie de la promo Lucy entre septembre 2022 et mars 2023.

Qu’est-ce qui t’a motivée à te former dans le développement web ?

Cela fait de nombreuses années que je suis passionnée par l’innovation publique et le design de services. Mon obsession, depuis que je travaille dans le service public, est de l’améliorer en intégrant les usagers dans leur construction. Qui mieux que l’usager et l’agent, qui pratiquent tous les deux les services publics quotidiennement, pour les concevoir ?

Aujourd’hui, la société est de plus en plus digitalisée. De la petite enfance lorsqu’il faut s’inscrire à la crèche, à la demande de pension de retraite en passant par la recherche d’emploi, l’inscription dans les études supérieure, la consultation de nos bulletins de paye ou la déclaration de nos impôts, tous les services sont désormais en ligne. Il m’a donc paru évident que je devais appliquer la réflexion que j’avais menée sur les services publics physiques aux services numériques.

En m’y intéressant de plus près, je me suis rapidement rendu compte que le monde du numérique était très en avance sur le monde physique en termes de construction de services, les méthodes agiles plaçant toujours l’usager au centre. 

Mon expérience de Directrice générale des services au sein d’une commune de 6000 habitants a été un déclic pour moi. A mon arrivée, rien n’était dématérialisé, les dossiers étaient annotés à la main dans les angles, les courriers scannés en PDF, les agents utilisaient des agendas papier et n’avaient aucun outil numérique souverain, libre et sécurisé pour travailler. 

J’ai pris conscience des énormes besoins en la matière et de l’impossibilité pour elles d’offrir des services publics numériques de qualité sans les moyens associés.

J’ai alors découvert la communauté beta.gouv grâce au produit Aides-territoires, une plateforme mettant à disposition des acteurs territoriaux l’ensemble des aides, subventions, appels à projet disponibles, de manière standardisée, mis à jour régulièrement et territorialisée. « Magique ! », je me suis dit.

Curieuse de nature, c’est à ce moment que je me suis dit qu’il fallait absolument que je mette « les mains dans le cambouis » pour comprendre comment tout cela fonctionnait.

Peux-tu nous décrire ton rôle actuel d’intrapreneuse pour l’ANCT ?

Aujourd’hui je suis intrapreneuse pour l’ANCT . C’est un métier peu connu du grand public, apparu assez récemment. Une intrapreneuse, c’est un agent public qui découvre un problème dans son administration et qui cherche à le résoudre grâce à une solution numérique en s’entourant d’une équipe d’experts du numérique (responsable de produit, développeur, designer, chargé de support et de déploiement).

La démarche commence toujours par une phase d’investigation permettant d’identifier un problème à résoudre. Une fois le problème validé, une phase de construction s’enclenche où le produit est construit en relation avec les usagers. C’est ensuite le lancement de l’accélération qui vise à faire grandir le produit et le déployer nationalement. Et enfin, le produit est repris par une administration en interne lors de la phase de pérennisation.

Mon rôle est donc de piloter ces différentes phases en garantissant que les besoins métiers (de l’administration dans laquelle je travaille) et que les besoins usagers soient bien pris en compte tout en m’assurant d’un budget suffisant. J’ai donc la responsabilité de la vision du produit, ses orientations stratégiques et je manage une petite équipe pluridisciplinaire de 6 personnes expertes du numériques.

Je l’exerce au sein de l’Incubateur des territoires, un incubateur de services numériques publics à destination des collectivités territoriales.

Ce nouveau métier est donc très différent de mes précédentes expériences dans les collectivités territoriales. Le milieu de la tech me plaît énormément. C’est un environnement très stimulant, dynamique, mouvant et très coopératif avec de nombreuses communautés d’entraide. Nous utilisons beaucoup les méthodes agiles et notamment le SCRUM, qui nous permet d’aboutir rapidement à des résultats et de revenir vers nos utilisateurs régulièrement. 

C’est une véritable différence par rapport à mon précédent métier qui avait tendance à construire tous ses projets à partir d’un cahier des charges bien défini en amont. Cependant, je reste en contact avec l’environnement territorial qui m’anime toujours autant mais plutôt du côté partenaire. C’est un véritable plaisir de pouvoir faire avancer les choses et leur apporter des solutions utiles pour leurs fonctionnement interne et rendre un service public de meilleure qualité.

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« J’ai la responsabilité de la vision du produit, ses orientations stratégiques et je manage une petite équipe pluridisciplinaire de 6 personnes expertes du numériques. »

Quelles sont les plus grands défis d’un projet d’intrapreneuriat dans la fonction publique ?

La suite inclusion numérique est un projet très ambitieux car initialement il s’agissait de créer une sorte de « Google workspace » pour les acteurs de la médiation numérique. L’idée était d’outiller les médiateurs et médiatrices numériques qui sont des professionnels qui agissent pour la montée en compétence numérique de la population et la réduction de la fracture numérique

La plus grande difficulté rencontrée a été d’élaborer une véritable vision crédible pour cette suite d’outils. En effet, la principale raison des échecs informatiques (notamment publics) est souvent la complexité de la solution imaginée. Il s’agissait de restreindre le projet tout en maintenant une certaine ambition et en satisfaisant l’administration financeuse. Cela a donc été un travail de priorisation des fonctionnalités, avec les utilisateurs grâce à des enquêtes usagers et des ateliers.

L’un des enjeux du produit était de connecter une plateforme avec des fonctionnalités de base avec d’autres services numériques, de manière simplifiée, intégrée et dans une logique de « dite le nous une fois », c’est-à-dire faire en sorte que les usagers ne répètent jamais leurs informations personnelles. L’enjeux était donc de faciliter la transmission de données entre les services, de manière sécurisée, en respectant le RGPD et de manière fluide. Un véritable défi technologique mais aussi de gouvernance et de diplomatie entre les équipes produit et les administrations porteuses.

Quel rôle a joué ta formation à l’École O’clock dans ta transition professionnelle ?

Ma formation chez O’Clock a été déterminante pour opérer ce changement de carrière dans la fonction publique. Elle m’a permis d’acquérir une crédibilité auprès de mes employeurs et surtout auprès de l’équipe avec laquelle je travaille au quotidien. Il n’est pas toujours simple d’intégrer des équipes techniques expertes du numérique, encore plus lorsqu’on est une femme. Même si je ne développe pas dans mon quotidien, cela me permet de bien comprendre le langage des développeurs, les enjeux et le fonctionnement des outils développés. Cela m’a permis d’acquérir une certaine légitimité.

Il se trouve que j’ai une équipe géniale qui me laisse aussi bidouiller des petites fonctionnalités en React sur nos plateformes donc cela me permet de ne pas perdre la main en dev et de m’éclater.

Comment utilises-tu tes compétences en gestion de projet et en développement web dans tes différents projets pour la fonction publique ?

J’utilise au quotidien mes compétences en gestion de projet. Tout d’abord pour construire nos outils numériques, nous respectons les méthodes agiles et notamment le SCRUM. Pour chaque EPIC (corpus/thème de tâches importantes) nous détaillons des user stories (situation d’usager à développer) que nous répartissons en sprint (temporalité/durée). A la fin de chaque sprint nous testons les fonctionnalités développées auprès d’utilisateurs. C’est une méthode qui nous permet de pouvoir « pivoter » (changer d’orientation) si les fonctionnalités ne répondent finalement pas aux besoins usagers. Cela permet de valider des intuitions.

Cette méthode je l’utilise désormais dans toutes mes missions et pas seulement lorsque je construis des outils numériques !

Pour ce qui est du développement web, comme précisé au-dessus, j’ai la chance d’avoir une équipe bienveillante qui me donne quelques missions de développement (résolution de bugs, modifications de textes, petites fonctionnalités). Par ailleurs, j’ai quelques projets personnels, notamment le site vitrine du cabinet de mon conjoint que j’ai développé en React.

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« Les femmes ne sont pas encore suffisamment nombreuses dans la tech mais elles s’organisent et c’est toujours chouette de pouvoir rencontrer d’autres femmes pour se soutenir les unes des autres. »

Le numérique joue un rôle de plus en plus important dans les collectivités. Comment perçois-tu l’évolution des besoins numériques dans ce secteur ?

Les services publics sont de plus en plus digitalisés. Aussi, les besoins sont grandissants. L’Incubateur des territoires où je travaille s’adresse en particulier aux collectivités qui en ont le plus besoin, à savoir les petites communes et intercommunalités. Ces dernières n’ont ni les moyens financiers, ni les moyens humains de développer des solutions numériques et les logiciels propriétaires ne répondent souvent pas exactement à leurs besoins, pour un prix exorbitant. La mission de l’Incubateur des territoires (ANCT) prend donc tout son sens.

J’ai pu m’en rendre compte lorsque j’étais Directrice générale des services d’une commune de 6 000 habitants. Les besoins sont immenses et des solutions de bases sont nécessaires pour garantir un service public de qualité. Je pense notamment au projet de « Suite territoriale » qui a vocation à donner accès à un nom de domaine, une messagerie et un espace de stockage aux petites collectivités, ce sont des besoins essentiels auxquels les petites collectivités n’ont même pas accès aujourd’hui. C’est souvent la raison pour laquelle elles subissent des cyber-attaques qui les paralysent.

En tant que femme dans la tech et le service publique, as-tu des conseils à partager ?

Mettre « les mains dans le cambouis » ! Il faut vraiment y aller, tester des choses, s’intéresser. 

J’ai constaté que les femmes arrivent souvent par le biais d’une reconversion car elles ne se sont pas orientées vers des carrières techniques ou scientifiques dans leur jeunesse, ce qui complexifie l’intégration dans le milieu du travail, notamment dans un contexte où le marché du travail s’est tendu ces dernières années. Cependant, elles arrivent aussi avec une certaine maturité et une carrière précédente qu’il faut valoriser.

Ne pas hésiter à postuler même à des postes qui vous paraissent trop « experts ». Nous n’avions rien à perdre, tout à gagner. Parfois, cela provoque des rencontres qui ouvrent des possibilités.

Les femmes ne sont pas encore suffisamment nombreuses dans la tech mais elles s’organisent et c’est toujours chouette de pouvoir rencontrer d’autres femmes pour se soutenir les unes des autres. Dans le Finistère notamment, j’ai découvert le collectif Kod Awen (la sororité tech du bout du monde). Je n’ai hélas que très peu de temps à y consacrer dans ma vie de maman mais ces communautés de femmes (qui vivent aussi les mêmes difficultés et contraintes – notamment les enfants à faire garder le soir) aident à se sentir légitime, à sa place.

Quels projets à venir t’enthousiasment le plus dans ton travail actuel au sein de la fonction publique ?

Être utile, outiller des acteurs qui n’ont pas les moyens (humains ou financiers) pour acquérir des services numériques adaptés à leurs besoins. C’est le cas des petites collectivités et des médiateurs numériques, qui sont notre cœur de cible, les utilisateurs des outils que nous développons avec notre équipe (le programme Société numérique de l’ANCT et notre équipe de développement).

Les médiateurs numériques sont primordiaux dans une société de plus en plus digitalisée pour ne laisser personne de côté et « armer » tous les citoyens de bonnes compétences et connaissances numériques. Pourtant, ils sont assez peu reconnus et ont peu d’outils harmonisés pour travailler. C’est dans ce but que nous développons nos outils.

Recevoir des messages d’utilisateurs heureux qui nous remercie pour notre travail est extrêmement satisfaisant.

Participer à la communauté beta.gouv est également très enthousiasmant car c’est une communauté d’entraide très dynamique. J’ai toujours été fascinée par le monde d’Internet. C’est d’ailleurs aussi pour cela que j’ai commencé à m’intéresser à l’informatique et au développement web. Ma première approche de ce milieu a été Ubuntu (NDLR : un système d’exploitation libre GNU/Linux). Mon beau-père m’avait installé Ubuntu sur mon ordinateur (il avait l’habitude d’organiser des install party). Lorsque j’ai un eu problème de son sur mon ordinateur, je suis allé chercher des solutions sur des forums. C’est là que j’ai découvert un monde, une porte s’est entre-ouverte sur une communauté de personnes qui se partageait des lignes de codes. J’ai alors « bêtement » copié/collé des morceaux de codes sur le terminal de mon vieil ordinateur. Ce qui a provoqué un arrêt total du son. J’ai pris conscience du pouvoir que j’avais entre les mains ! 😂 [blague évidemment] C’était très grisant et extrêmement enthousiasmant de faire partie de cette communauté d’acteurs.

Aujourd’hui, au sein de la communauté beta.gouv, j’ai le sentiment de faire partie de cette communauté d’acteurs et d’actrices qui œuvrent pour un numérique plus éthique, libre et ouvert et pour des communs numériques ayant une gouvernance partagée, à l’inverse des logiciels propriétaires.

Si tu pouvais revenir à tes débuts dans la tech, quel conseil te donnerais-tu à toi-même ?

Faire davantage de projets et aller à des meetups (NDLR: rencontres thématiques). J’avais souvent peur de ne pas me sentir à ma place dans les meetups ou de ne rien comprendre. Finalement je pense que j’aurais dû assumer mon côté « junior » mais avec l’envie d’apprendre et de côtoyer des personnes plus séniores, souvent très bienveillantes.

Si tu devais résumer ton expérience à O’clock en un mot ou une phrase, quel serait-il ?

Fun, convivialité, pédagogie, concret et rencontres.

 

Nous remercions chaleureusement Manon et lui souhaitons de réaliser encore de beaux projets au service des services de la fonction publique.