Attention, développeur ! Tu vas pénétrer dans un monde étrange où le mystère et l’angoisse te donnent rendez-vous pour te faire frissonner de peur… et de plaisir !
“Fichtre, c’est bien la tuile !” bougonnait Alexis devant son bureau. En effet, le jeune développeur était bien embêté, son ordinateur venait de le lâcher avant qu’il ait le temps de commit son formulaire de connexion ! 💀 “Ma deadline pour rendre ce projet est demain, comment vais-je faire à présent pour le rendre en temps et en heure ?” se demandait-il à voix haute.
“Moi, d’mon temps, quand on avait besoin de travailler sur l’ordinateur, on allait à la bibliothèque” intervint son père, Régis, en abaissant le journal qu’il était en train de lire. Ce dernier était confortablement installé dans son fauteuil de cuir beigeasse, usé sur les accoudoirs et à l’appuie-tête, qu’il avait récupéré de son collègue Didier, bien que sa femme Murielle, elle, le trouvait hideux et l’avait prié de ne point l’intégrer à la décoration du salon, ô combien différente. Mais bon, comme toujours, Régis n’en avait fait qu’à sa tête. Il y avait maintenant ce meuble style Chesterfield qui faisait bien tâche au milieu d’une déco Tikki Bar savamment créée par Murielle au fil des ans depuis leur voyage de noces à Rurutu. Il n’eut point fallu s’étonner le jour où Murielle en aurait eu marre et aurait décidé de foutre le camp, à force de jamais écouter son avis et de faire ce que Môssieur avait décidé, cette tête de mûle… Mais reprenons notre histoire là où elle en était.
“La bibliothèque ?” demanda Alexis, interloqué. “Ce vieux bâtiment derrière le salon de coiffure ?”
“Eh oui fiston, à mon époque, on n’avait pas d’ordinateur à la maison comme aujourd’hui, et c’est là-bas qu’on pouvait aller coder tranquille !” puis il reprit la lecture de son journal. Tiens, l’En-avant-Guingamp avait gagné contre l’AS Saint Etienne, c’est Didier qui n’allait pas être content.
Bien que sceptique, Alexis décida d’aller jeter un œil. Il enfourcha son vélo et se mit en route vers la bibliothèque. L’édifice était sombre et peu accueillant ; d’ailleurs, lorsqu’il poussa la grinçante porte d’entrée, le bruit résonna dans toute la salle principale jusque-là absolument silencieuse. “Hé ho, il y a quelqu’un ?” cria-t-il. 📣 Il tournait depuis maintenant 26 minutes dans le bâtiment, et pas la moindre trace d’ordinateur, ni même de personnel d’accueil. Il commençait à se dire que ce voyage se révélait bien inutile.
“Besoin d’aide ?” Alexis sursauta. Il n’avait pas vu arriver l’homme qui lui parlait. Ce dernier devait mesurer environ 1m88, avait la chevelure clairsemée et des lunettes rondes à la monture discrète. Il portait un col roulé noir, si bien que dans la pénombre de la pièce, on aurait presque dit que sa tête flottait au milieu des romans de gare et des BD supposément comiques, mais en réalité bourrées de clichés et pas drôles du tout.
“Euh… oui, bonjour, je cherche vos PC. Voyez-vous, le mien m’a lâché en plein projet, or je dois impérativement le finir pour demain ! On m’a dit que je pourrais travailler ici pour avancer le temps que ma machine soit réparée.” bafouilla Alexis.
La tête flottante prit un instant pour réfléchir. “Malheureusement il n’y a plus de PC disponibles ici, les jeunes gens venaient s’en servir pour consulter des conchoncetés, tant et si bien que la mairie a décidé de les réaffecter dans leurs services administratifs pour allonger plus encore les délais d’exécution.” Alexis s’apprêtait à tourner les talons quand le visage volant ajouta “Mais il y a bien une solution qui pourrait t’être utile. Seulement, il y a une condition…”
Alexis hésita un instant. Cette caboche ne lui inspirait guère confiance, mais il n’était pas vraiment en position de refuser. Il acquiesça donc. “Oui, laquelle ?”
“Disons que l’ordinateur que je peux te prêter requiert un engagement total. Son utilisation est… comment le formuler ? Immersive ! Et il te faudra accepter toutes ses conditions pour pouvoir l’utiliser.”
Alexis était très anxieux à l’idée de ne pas finir son projet, il était prêt à tout accepter tant qu’il eut pu finir dans les temps. Il n’écouta ainsi les mots de la trombine voltigeante que d’une oreille et accepta à la hâte. 🤝
“Phénoménal !” interjeta-t-il la tronche en lévitation. Deux mains, qui au premier coup d’œil ne semblaient rattachées à aucune espèce de corps et de carnation similaire à celle de la tête, se frottèrent alors l’une contre l’autre, de manière satisfaite. L’une d’elles se saisit de la cotte d’un livre à la couverture verte et au titre formé de belles lettres gothiques dorées –“Principes mathématiques de la philosophie naturelle d’Isaac Newton– et l’inclina à quarante-cinq degrés vers elle. 📕 Un bruit de rouages mécaniques se fit alors entendre de derrière le mur, comme des gargouillis d’entrailles de métal. L’étagère se scinda alors en deux pour laisser apparaître une pièce jusque-là cachée.
Il avait devant lui un bureau, ou plutôt un garage aux allures de bureau, aménagé à la hâte de bric et de broc (et peut-être même de brac, mais dans la pénombre, on y voyait mal). Tout était spartiate et négligé, si ce n’est l’immaculé iMac dont un attrayant halo semblait émaner. 🖥️
Sans attendre, Alexis s’installa devant l’ordinateur salvateur.
Un message s’afficha sur l’écran : “Acceptez-vous d’entrer dans la machine ?”
Il se retourna pour interroger la tête volante, mais elle avait disparu, et avec elle la porte secrète de la pièce.
“Ces traductions automatiques sont un peu étranges » commenta-t-il. « Mais bon, allez, faut que je m’y mette, j’ai perdu suffisamment de temps comme ça ! » Et il cliqua.
Comme cela se produit normalement pour éviter la surchauffe, la ventilation de l’ordinateur se mit en route, mais le bruit s’amplifia de plus en plus. Le vent se leva dans la pièce, faisant tournoyer dans les airs agrafeuse, crayons, mouchoirs sales et autres éléments de bureautique. Bientôt, Alexis fut lui-même aspiré par cette tornade infernale. Il ne voyait plus rien, autour de lui les objets volaient et … mais non… c’était impossible : des lignes de code semblaient se définir au loin.
Les bourrasques se calmèrent et sa vue s’affina. C’était bien ça ! Des lignes de codes l’entouraient. Des paysages en accolade se dressaient devant lui. Il repensa aux mots de la binette aérienne “une utilisation immersive”. Alexis se trouvait au beau milieu de son projet, comme on pouvait se retrouver au milieu d’une foire au vin d’un supermarché Migros à Neuchâtel un samedi après-midi.
Quelle expérience incroyable ! Ni une, ni deux, il retroussa littéralement ses manches, parce-que ce sweat était une taille trop grand, c’était le dernier modèle exposé en magasin et ils ne leur restait que du L, mais le motif lui plaisait vraiment donc il avait craqué, et se mit au travail.
Jamais il n’avait travaillé aussi vite. Comme dans une partie de Dance Dance Revolution, un clavier géant s’affichait au sol et Alexis s’élançait de touche en touche pour coder. Son projet était propre, on aurait mangé dessus comme aurait dit sa mère lorsqu’elle revenait satisfaite du Carwash. Il pouvait en attester car il était littéralement dedans. Tout s’annonçait au mieux, quand tout à coup, une lumière blanche l’éblouit pleinement. 💡
Cette clarté l’aveuglait et il ne voyait plus rien. Tout semblait avoir disparu autour de lui. Adieu point-virgules, adieu accolades, tout n’était que blancheur autour de lui, telle la chevelure de Lionel Jospin.
“Le White Screen Of Death” murmura Alexis. Ses collègues lui en avaient parlé. Il s’agissait d’un écran d’une blancheur immaculée. Toute trace du formulaire avait disparu. Au-delà de la console de débogage, s’étendait le néant absolu. “Mais enfin, comment reprendre le contrôle de la situation ?” paniqua le brave développeur. Il n’avait en effet aucun message d’erreur autour de lui pour l’aider. Allait-il rester coincé pour l’éternité dans cet écran blanc ? Était-ce ainsi que le mystérieux bibliothécaire avait perdu son corps ? Ses membres et organes étaient-ils encore prisonniers de ce même ordinateur ? La saison 2 de Ring of Power sera-t-elle plus intéressante que la saison 1 ?
Il tenta de reprendre son calme. Ce n’était pas parce qu’aucun message d’erreur n’apparaissait qu’il ne pouvait y remédier. Il entreprit donc de contrôler les valeurs de son programme les unes après les autres en usant de points d’arrêt. Cette méthode était laborieuse, mais il parvint à mettre le doigt sur le problème et put faire revivre son formulaire de connexion. 🔗
Son code réapparut et il put finaliser son projet. “Ma deadline sera respectée” se réjouit Alexis. À ces mots, le vent se leva à nouveau, sa chevelure au vent, Alexis comprit que l’iMac le laissait sortir.
La bobine voltigeante l’attendait. “Je vois que tu as su surmonter les dangers de cet ordinateur magique. Tu dois être un développeur bien talentueux ! »
« Méthodique surtout, c’est la clé dans mon travail !” rétorqua Alexis.
« En effet ! Certains n’ont jamais su s’extirper du White Screen of Death. C’est bien malheureux… »
« Que sont-ils devenus ? » Demanda, incrédule, Alexis
En guise de réponse, Steve éclata d’un rire tonitruant et disparut. Certains prétendent encore voir rôder sa tête certains soirs parmi les aspirants start-upeurs et les intervenants TED Talk, en quête d’une nouvelle victime… 🔪Quant à Alexis, il enseigne à présent les bonnes pratiques dans une école pour jeunes développeurs web et leur apprend à être consciencieux et méthodique pour savoir résoudre les erreurs de code, même quand aucun message d’erreur ne leur apparaît. Mais parfois, il repensait aux développeurs bloqués dans le White Screen Of Death…